Suzy Spacks — Morfologic

Suzy Spacks a déboulé sur la scène berlinoise avec un premier album éponyme qui revisitait le folklore est-allemand, inventaire patrimonial à la Francis James Child. Portées par un finger-picking particulier, cordes effleurées du bout des doigts plutôt que joués avec l’ongle, les compositions de Spacks distillaient une nostalgie anachronique, musique à savourer au coin du feu dans une datcha, à l’heure où le mur tombait par pans entiers, piétiné par une jeunesse avide de musique amplifée et de liberté. Dans son deuxième album (enregistrée en une nuit à la suite d’une rupture), elle plaquait un imaginaire luxuriant quoi qu’un brin désespéré sur des arpèges ondoyants, livrant avec «Your Insane Memory» un modèle de ballade désenchantée sur fond de guerre civile espagnole. Avec «Morfologic», Suzy Spacks opère un virage à 180 degrés: peu ou pas de guitare, section rythmique entièrement digitale, samples à gogo, voix (encore plus) éthérée se confondant dans «Lindnerallee» avec l’enchevêtrement des synthés organisés en couches. Invoqué dans le titre d’ouverture, le fondateur du Bauhaus semble avoir guidé Spacks vers les friches industrielles de sa capitale en pleine mutation. Dans «Berlin Mon Amour», le plus long morceau de l’album et aussi le plus abouti, elle construit à partir d’une ritournelle en franglais («La nuit mon amour/Still by your side/Always will be») une mélodie envoûtante rythmée par des bruits de chantier et soutenue par des ondes Martenot, comme une réponse à la partition de Johnny Greenwood dans «How To Disappear Completely». Au final, si l’album laisse un sentiment d’inachevé, surtout à cause de «Mein Stuhl» (cacophonie aussi incongrue que la pochette, hommage maladroit à Luigi Russolo), Suzy Spacks défriche avec ces huit titres de nouveaux horizons prometteurs.